
En 2024 au Bangladesh, les violentes manifestations des ouvrieres textiles ont duré 6 mois.
« Faire du Bénin le nouveau Bangladesh d'Afrique de l'Ouest ? » c’est la question que se posait le magazine Le Point en janvier 2025 lors de l’interview du directeur marketing de la zone économique Glo-Djigbé Yannick Capiron qui avait fait part de l’objectif de la société Arise IIP (Arise Integrated Industrial Platforms) qui installe des plateformes industrielles : « D'ici trois ans, nous souhaitons atteindre 15 milliards de dollars d'exportations textiles ». Classé 2eme exportateur de textile après la Chine (255 milliards d’euros), le Bangladesh travaille pour les enseignes de la mode depuis le milieu des années 90 et ses exportations textiles atteignaient 42 milliards d’euros l’an dernier.
Mais les subsahariens veulent-ils d’un tel modèle qui a fait du Bangladesh, le pays le plus pollué du monde mais n’a pas sorti ses ouvrières de la pauvreté. Car alors que les marges brutes annuelles de leaders de la fast fashion comme H & M et Inditex (Zara) avoisinent respectivement 50 et 60 % de chiffres d’affaires de 20 et 38 milliards d’euros, la part consacrée aux petites mains des pays à bas coût souvent rémunérées autour de 0.50 €/heure, n’excède pas 3 ou 4 %. Ainsi, après 30 ans d’un travail acharné de millions d’ouvrières que les ONG ont souvent qualifiées d’esclaves de la fast fashion, le Bangladesh figurait toujours en 2024, parmi les 45 pays les moins avancés (PMA).

Bien que revendiquant des valeurs telles que le durable ou l’équitable et bien qu’il doive sa fortune à son activité en Afrique subsaharienne depuis 20 ans, Gagan Gupta a cependant préféré abriter la société Arise IIP ainsi que le fonds ATIF riche de 4 milliards de dollars et rebaptisé Equitane pour prôner « un développement équitable pour tous », dans le paradis fiscal de Dubaï aux Émirats arabes unis. De plus, l’ambition consumériste de vouloir submerger le monde de vêtements fabriqués par des ouvrières sous payées en concurrence avec celles du Bangladesh dont les salaires sont supérieurs, n’a rien de durable ou d’équitable.

Gagan Gupta ne semble pas avoir de réelle vision économique qui permettrait de transformer positivement et profondément l’Afrique subsaharienne. Son projet textile qui consiste à implanter des plateformes de sous-traitance ou d'externalisation (subcontracting or outsourcing) à bas coûts comme il en existe des milliers à travers le monde, peut apparaitre surtout opportuniste. Couler des dalles de béton sur lesquelles sont ensuite installées de malheureuses ouvrières textiles sous-payées pour contenter des investisseurs le plus souvent étrangers dont on ignore les desseins et des groupes textiles toujours à l’affut des plus bas salaires, ne semble pas particulièrement innovant.
En l’absence de salaires décents et à l’heure où les ouvrières africaines ont accès à internet et peuvent prendre connaissance du salaire de leurs homologues à travers le monde ou voir leurs violentes manifestations alors que leurs salaires sont superieurs, on peut douter de la viabilité du concept sur le long terme. Pour exemples, « En Éthiopie, nouvelle usine textile du monde, les ouvrières se rebellent déjà contre le modèle de la fast-fashion » (Novethic) et « Cela fait six mois que les ouvrières et ouvriers de la confection ont commencé à manifester au Bangladesh » (Amnesty International). Aussi faudra-t-il craindre des troubles dans toute l’Afrique subsaharienne dont zones existantes ou en projet développées par Arise IIP au Togo, Gabon, Côte d’Ivoire, Nigeria, République du Congo, République démocratique du Congo (RDC), Sierra Leone, Malawi, Rwanda, Tchad, Sénégal etc.

Il est peu certain que la modernisation et le bien-être de populations ouvrières africaines soient les principales préoccupations de l’homme d’affaires indien et peut-être est-ce pour cela que « Le fonds d’investissement cofondé par Gagan Gupta multiplie les participations dans les secteurs stratégiques africains, de l’or malien aux médicaments génériques. Objectif : doubler ses actifs sous gestion pour atteindre 8 milliards de dollars d’ici 2030. » (Source Jeune Afrique)
Aussi peut-on redouter que fortune faite, le milliardaire indien déjà confortablement installé à Dubaï, se désengage d’actifs industriels embarrassants comme ceux d'Arise IIP qui pourraient lui exploser à la figure. Mais ceux-ci lui auront néanmoins permis de disposer de la surface et crédibilité financière nécessaire pour franchir les étapes successives de son enrichissement personnel. Mais grande pourrait être la déception de populations et de pays qui espéraient un avenir meilleur ou l’infortune des investisseurs qui n’auraient pas retiré leurs billes à temps. Le groupe singapourien d’origine indienne OLAM s’est progressivement désengagé d’Arise avec les cessions de ses dernières parts en 2023 pour 189 millions de dollars au fonds d’investissement émirati Africa Transformation and Industrialization Fund et de 176 millions de dollars en 2025 au fonds Equitane DMCC détenu surtout par Gagan Gupta, Africa finance corporation (AFC) basé au Nigeria et le fonds FEDA créé par Afreximbank au Caire (Egypte).

Mais la méfiance semble régner : Le 15 février 2023, le directeur général de la banque publique d'investissement française (BPI France) Nicolas Dufourq annonçait : « Bpifrance et Arise IIP nouent un partenariat pour favoriser les projets de transformation des matières agricoles et de co-industrialisation à l'échelle panafricaine ». Mais 2 ans et demi plus tard, cela semble au point mort. Est-ce que la BPI a ouvert les yeux sur le risque de scandale lié à la domiciliation dans un paradis fiscal mais aussi d’un modèle basé sur des salaires à bas coûts qui peut aussi dévaster l’environnement tout en encourageant la fast fashion. Mais l'article « Enquête sur Arise IIP, la firme qui dépouille les paysans africains » publié dans le journal l’Humanité, même si celui-ci a fait l’objet d’un démenti de la part de la société Arise IIP, pourrait aussi avoir refroidi l’enthousiasme de la BPI ou celui de potentiels investisseurs de l'UE et des USA. 05/07/2025
Documentation :
Au Bénin, le pari d’une industrialisation à marche forcée
Au Bangladesh, une grève historique des ouvriers du textile
Cela fait six mois que les ouvrières et ouvriers de la confection ont commencé à manifester au Bangladesh
En Éthiopie, nouvelle usine textile du monde, les ouvrières se rebellent déjà contre le modèle de la fast-fashion
Bpifrance et Arise IIP nouent un partenariat pour favoriser les projets de transformation des matières agricoles et de co-industrialisation à l'échelle panafricaine
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Enquête sur Arise IIP, la firme qui dépouille les paysans africains