Populisme, aveuglement idéologique, pour profiter de ses richesses minières, l'Afrique subsaharienne devra éviter les pièges politiques

Alors que le sous-sol africain regorge de minerais stratégiques, la tentation souverainiste, les discours victimaires et les alliances opportunistes menacent d’étouffer un vrai développement minier durable.
Une richesse géologique unique au monde
Uranium au Niger, cobalt et cuivre en RDC, lithium au Zimbabwe, or au Burkina Faso, graphite à Madagascar, fer en Guinée, manganèse au Gabon, bauxite en Guinée… L’Afrique subsaharienne en regorge et le continent détient plus de 30 % des réserves mondiales de minerais essentiels à la transition énergétique. Et pourtant, la pauvreté persiste, la dépendance s’aggrave, et les conflits se multiplient. Ce paradoxe, les économistes l’appellent la « malédiction des ressources ». Mais ce n'est ni la richesse en elle-même, ni même la présence d’acteurs étrangers qui posent problème. Ce qui manque, c’est un État fort, stable, compétent, capable de transformer une rente souterraine en prospérité durable.
Les entreprises étrangères ne sont ni des prédateurs… ni des philanthropes
Dans le débat minier africain, les sociétés occidentales, en particulier françaises, font figure de boucs émissaires. Récemment, les régimes militaires du Mali, du Niger ou du Burkina Faso ont multiplié les accusations contre Orano, Eramet ou autres groupes européens, les accusant de « pillage ». Sans fournir d’audits, ni de contre-expertises. Ce narratif séduit sur les réseaux sociaux. Il est aussi politiquement utile pour justifier des ruptures brutales de contrats ou des nationalisations hasardeuses. Mais il occulte une réalité évidente : aucune entreprise minière sérieuse n’investit dans des zones à haut risque pour offrir ses services gracieusement. Les coûts sont astronomiques. La sécurité est précaire. Les infrastructures manquent. Le retour sur investissement est long, incertain, et dépend souvent de cours mondiaux volatils. Dans ce contexte, accuser systématiquement les opérateurs formels d’« exploitation néocoloniale » revient à assécher l’investissement légal… au profit d’acteurs souvent beaucoup plus opaques.
Les ONG et les institutions internationales, critiques sélectives et lectures idéologiques
Une autre source de confusion vient de certains rapports d’organisations internationales, souvent amplifiés par des ONG militantes. Leur grille de lecture repose sur une conviction idéologique : les multinationales seraient intrinsèquement prédatrices, surtout lorsqu’elles sont occidentales. Or, ces analyses sont étrangement muettes quand il s’agit d’acteurs chinois, russes, turcs ou indiens, dont les pratiques sont pourtant loin d’être exemplaires en matière d’environnement ou de droits sociaux. Dans le cobalt congolais, par exemple, la Chine contrôle plus de 70 % de la production sans que cela déclenche les mêmes indignations. La réalité est que ces discours idéologisés nuisent à l’attractivité des États africains eux-mêmes. Car en diabolisant les investisseurs privés sérieux, on ouvre la porte aux acteurs les moins regardants et souvent les plus enclins à conclure des accords dans l’ombre.
Le retour de la souveraineté minière : volonté légitime, méthode discutable
L'aspiration des États africains à reprendre le contrôle de leurs ressources est evidemment évidemment légitime. Depuis des décennies, ils ont souvent été tenus à l’écart des décisions, cantonnés à percevoir des royalties dérisoires, sans transfert de technologie ni développement local. Mais la souveraineté ne se décrète et suppose des compétences techniques, des ingénieurs, des juristes, des géologues, des institutions fiscales crédibles. Dans bien des cas, cette infrastructure de souveraineté n’existe pas. Et sans elle, les nationalisations finissent souvent en désastres techniques ou en détournements massifs. Un partenariat équilibré suppose un État capable de négocier, de contrôler, d’exiger. Pas un État fantoche qui remplace un acteur expérimenté par une coentreprise contrôlée par des militaires, un proche du président ou un partenaire géopolitique de circonstance.
Basculement géopolitique : quand l’Afrique chasse l’Occident pour accueillir le non-droit
À mesure que certaines sociétés françaises ou canadiennes sont évincées, des partenaires alternatifs prennent leur place, souvent sans appels d’offres, sans normes, et sans mémoire. La Chine investit massivement dans le lithium, le fer et le cobalt, en échange de routes, de prêts ou de silence politique. La Russie par le biais de groupes liés à l’ex-Wagner, sécurise des concessions d’or ou d’uranium dans des zones instables. La Turquie, plus discrète, avance méthodiquement sur l’or et le ciment dans plusieurs pays du Sahel. Ce basculement est moins une reprise de souveraineté qu’un déplacement de dépendance. Et à terme, les conditions imposées par ces nouveaux partenaires risquent d’être bien plus contraignantes que les anciens « contrats coloniaux » dénoncés par certains régimes.
Du sous-sol au décollage : les trois piliers d’un vrai modèle africain
Si l’Afrique veut tirer parti de sa richesse géologique, elle devra poser des piliers clairs dont la stabilité institutionnelle car sans sécurité juridique ni prévisibilité fiscale, aucun investisseur sérieux ne restera. La montée en compétence locale en formant des géologues, des ingénieurs, des régulateurs pour parler d’égal à égal. La création de valeur sur place en ne contentant pas seulement d'exporter le minerai, mais en le transformant, l'affinant, intégrant à des chaînes locales quand c’est économiquement viable. Et surtout sortir du face-à-face idéologique, stérile et fatigant, entre les « bons souverainistes » et les « méchants investisseurs ». L’enjeu n’est pas de choisir entre un modèle français, chinois ou russe, mais de définir un modèle africain, lucide, transparent et exigeant.
L’Afrique n’est pas condamnée au sous-développement minier mais doit éviter les pièges.
Le premier piège, c’est le populisme minier en promettant à la population des revenus massifs, immédiats, sans tenir compte des réalités du marché, des coûts ou des risques. Le second, c’est l’aveuglement idéologique en croyant que toute entreprise étrangère est suspecte, sauf si elle est non occidentale. Entre naïveté souverainiste et dépendance opaque, il existe une voie exigeante : celle du partenariat stratégique, du contrat bien négocié, du contrôle public fort, et du réalisme économique. L’Afrique a les ressources mais il reste à savoir si elle veut et peut les gérer comme un levier de puissance, et non comme une arme de discours.
Francis journot est consultant, entrepreneur et fait de la recherche économique. Il est le fondateur du projet États-Unis d’Afrique subsaharienne et du Programme pour l’industrialisation de l’Afrique subsaharienne ou Africa Atlantic Axis. Il est aussi l’initiateur de l'International Convention for a Global Minimum Wage